Michel Sauval - Psicoanalista Jacques Lacan, Seminario "La angustia", Lectura y comentarios de Michel Sauval

Notas y comentarios
Sesión del 9 de enero de 1963

Incidences thérapeutiques de la prise de conscience de
l'envie de pénis dans la névrose obsessionnelle féminine
Œuvres psychanalytiques - I. La relation d'objet
(névrose obsessionnelle - dépersonnalisation),
Paris, Payot, 1967. pp. 49-75

Maurice Bouvet

Le travail que nous vous présentons aujourd'hui intéresse un cas de névrose obsessionnelle féminine, qui nous a paru posséder une iconographie onirique particulièrement riche, susceptible de rendre plus facilement objectivables les variations du transfert et les modifications de la structure psychologique, qui, dans des cas de ce genre, peuvent se produire sous l'influence de l'analyse. Nous disons bien dans des cas semblables, car nous aurions pu aisément remplacer cette observation par une autre qui a témoigné d'une évolution à peu près parallèle; de plus chez d'autres sujets dont l'analyse est moins avancée, une interprétation semblable des faits semble devoir s'imposer, tout au moins en ce qui concerne l'essentiel de ce que nous désirons soutenir ici ; à savoir : que la prise de conscience de l'envie du pénis intervient de façon favorable sur l'évolution des phénomènes de transfert et facilite l'assouplissement du surmoi féminin infantile. Ce sont là, nous le savons, des constatations de pratique journalière, et il serait inutile de produire cette observation si elle ne tendait à démontrer que, comme l'obsédé masculin, la femme a besoin de s'identifier sur un mode régressif à l'homme pour pouvoir se libérer des angoisses de la petite enfance ; mais alors que le premier s'appuiera sur cette identification, pour transformer l'objet d'amour infantile en objet d'amour génital, elle, la femme, se fondant d'abord sur cette même identification, tend à abandonner ce premier objet et à s'orienter vers une fixation hétérosexuelle, comme si elle pouvait procéder à une nouvelle identification féminine, cette fois sur la personne de l'analyste. Il va sans dire que l'interprétation des phénomènes de transfert est ici particulièrement délicate. Si la personnalité de l'analyste masculin est d'abord appréhendée comme celle d'un homme avec toutes les interdictions, les peurs et l'agressivité que cela comporte, peu après que le désir de possession phallique, et corrélativement de castration de l'analyste, est mis à jour, et que de ce fait, les effets de détente précités ont été obtenus, cette personnalité de l'analyste masculin est assimilée à celle d'une mère bienveillante. Cette assimilation ne démontre-t-elle pas que la source essentielle de l'agressivité antimasculine se trouve dans la pulsion destructive initiale dont la mère était l'objet ? La prise de conscience de l'une entraîne le droit au libre exercice de l'autre et le pouvoir libératoire de cette prise de conscience du désir de possession phallique devient alors de plano compréhensible, ainsi que le passage d'une identification à l'autre en fonction d'une ambiguïté fondamentale de la personne de l'analyste dont l'aspect masculin est d'abord seul perceptible à la malade.

OBSERVATION.

Description clinique. Anamnèse.

Étant donné le temps inévitablement assez long que nécessite la relation de ce fragment d'analyse, nous allons essayer de vous présenter de façon très résumée l'exposé préalable des phénomènes morbides et de la situation familiale de Renée.

C'est une femme de 50 ans environ, bien portante, mère de deux enfants, exerçant une profession paramédicale, qui a subi dans un proche passé une analyse de deux ans sur laquelle nous avons peu de renseignements. Nous savons qu'elle eut pour son médecin un sentiment assez vif qu'elle n'extériorisa pas facilement et qu'elle interrompit sa cure sous des prétextes variés. Elle n'était d'ailleurs encouragée dans cette attitude par une amélioration très importante de ses phénomènes obsessionnels qui s'amenuisaient dès qu'elle entrait en traitement, pour réapparaître d'ailleurs quelque temps après la suspension de celui-ci.

Elle était dans un état d'angoisse extrême quand elle vint nous trouver et nous dûmes la prendre en traitement immédiatement, ne pouvant la recevoir, comme elle était en surnombre, que deux fois par semaine.

Elle souffrait d'obsessions à thème religieux : phrases injurieuses ou scatologiques s'imposant à elle incoerciblement en contradiction formelle avec ses convictions, dès qu'elle désirait prier, ou même spontanément. Elle se représentait en outre, imaginativement, des organes génitaux masculins, sans qu'il s'agisse de phénomènes hallucinatoires, à la place de l'hostie. Elle réagissait à tout cela, quoique ne s'en dissimulant pas le caractère morbide, par une crainte violente de damnation. Cet état s'était aggravé lorsqu'elle avait essayé de diminuer volontairement ses possibilités de maternité, mais avait commencé dès son mariage. Notons ce détail important qui explique la thématisation religieuse principale de ses obsessions : sa mère fut seule responsable de son éducation catholique, et son conflit avec elle devait se reporter sur son activité spirituelle, qui n'eut d'ailleurs jamais qu'un caractère d'obligation et de contrainte. Elle avait présenté en outre d'autres phénomènes obsessionnels, soit concurremment, soit isolément, de telle manière qu'on pouvait la considérer comme malade, depuis l'âge de 7 ans environ.

Voici la liste de ses principales obsessions

Contre ces pensées, cette malade emploie des procédés de défense dont les uns sont encore d'apparence logique : vérifications, précautions ; dont les autres sont franchement magiques et se résument dans l'annulation : dans l'enfance toucher 3 fois la plinthe de l'appartement pour « annuler ». Plus tard, se répéter trois fois « non, je ne l'ai pas pensé ».

Il suffit de parcourir la liste de ces phantasmes pour se rendre compte qu'ils sont sous-tendus par une énorme agressivité ; d'ailleurs, comme il est classique de le constater, l'agressivité infiltre le moyen de défense lui-même. Cette femme souffrant d'un complexe de castration féminine annule ses pensées agressives de castration par la réaffirmation sur un mode symbolique de son désir de possession phallique, « triple répétition de la formule conjuratoire ».

Sa situation familiale.

Nous n'osons la dire œdipienne, car si l'organisation génitale a existé, elle fut extrêmement fragile et l'analyse ne retrouve qu'avec peine, maintenant, des rêves où l'attaque sexuelle de l'homme est représentée sur un mode sadique terrifiant.

A première vue, l'œdipe paraissait normal ; Renée faisait l'éloge de son père et affichait la haine la plus tenace à l'égard de sa mère. Puis, l'ambivalence à l'égard des deux parents se fit jour - enfin l'œdipe apparut complètement inversé. Cette femme s'était entièrement identifiée à son père et l'ensemble de sa vie émotionnelle était uniquement polarisée par sa mère ; elle accabla en effet son père de critiques sévères visant sa situation. Il était brigadier de gendarmerie et la fillette rougissait de cet état, qui l'humiliait auprès de ses compagnes. Son caractère : il était bon, mais ne savait pas le montrer. Il était chagrin, taciturne, déprimé, ne contrebalançant nullement la rigidité de la mère par une attitude compréhensive et affectueuse ; sa situation dans le ménage : il n'avait pu triompher de l'attachement de sa femme à un premier amour, d'ailleurs platonique, il était jaloux et ne rompait son mutisme que pour éclater en scènes véhémentes dont il sortait toujours vaincu.

En réalité, derrière ces reproches se dissimulait une agressivité infiniment plus importante, la malade produisit des rêves indiscutables de castration de son père, tel celui-ci par exemple : « je rentre dans la chambre mortuaire de mon oncle (frère du père). C'est écœurant : je vois ses organes génitaux en pleine décomposition » ; et les associations fournies n'eurent trait qu'aux circonstances de la mort du père, énoncées sans aucune émotion. « Mon père », dira-t-elle, « n'a tenu aucune place dans ma vie intime. » Ce n'était d'ailleurs pas exact, puisque sont venus au jour, récemment, des rêves de poursuite amoureuse sous forme de cauchemars, l'agresseur se comportant comme un meurtrier. Nous y ferons allusion plus loin. Il y avait donc eu, à une certaine phase du développement de Renée, une attirance pour le père, mais sur un mode entièrement pré-génital.

Quant à sa mère, si l'investigation analytique montrait d'abord les sentiments négatifs que la malade nourrissait à son égard, elle ne tarda pas à rendre évident l'intérêt passionné qu'elle avait pour elle. Si elle lui reprochait avec véhémence de l'avoir contrainte, soumise à une discipline féroce, empêchée de s'exprimer, de lui avoir interdit toute relation masculine si innocente soit-elle, elle lui en voulait surtout de ne pas l'avoir assez aimée et de lui avoir préféré constamment sa sœur cadette, de 7 ans moins âgée qu'elle. Ses sentiments de jalousie ne sont d'ailleurs pas éteints et Renée ne renonce qu'insensiblement à la certitude de cette préférence affichée par la mère pour sa cadette.

Mais la violence même de ses plaintes contre sa mère était le témoignage de l'affection immense qu'elle lui portait. Elle la trouvait d'un milieu plus élevé que celui de son père, la jugeait plus intelligente et, surtout, était fascinée par son énergie, son caractère, son esprit de décision, son autorité. Les rares moments où la mère se détendait la remplissaient d'une joie indicible. Mais, jusqu'ici, il n'a jamais été question de désirs de possession de la mère franchement sexualisés. Renée était liée à elle sur un plan exclusivement sado-masochique. L'alliance mère-fille jouait ici avec une extrême rigueur et toute transgression du pacte provoquait un mouvement d'une violence extrême, qui, jusqu'à ces derniers temps, ne fut jamais objectivée. Toute personne, s'immisçant dans cette union, était l'objet de souhaits de mort, ainsi que le démontra un matériel abondant, soit onirique, soit infantile, relatif au désir de la mort de la sœur.

Nous regrettons de ne pouvoir procéder ici à l'analyse minutieuse de l'anamnèse de Renée et de ne pouvoir montrer qu'elle avait de toute évidence reproduit, dans tout le cours de sa vie émotionnelle, l'essentiel de son attitude à l'égard de ses parents. Avant d'aller plus loin, signalons un traumatisme qu'elle dit avoir subi vers l'âge de 3 ans, et sur la réalité duquel il est impossible de se prononcer : un homme la portant sur son bras, lui aurait touché les parties génitales, ce qui lui aurait occasionné un vif sentiment de frayeur ; elle en fait le récit sans aucune émotion. Elle n'eut pendant son enfance ou son adolescence aucun sentiment objectal vrai pour un garçon de son âge.

Au contraire, elle éprouva, tout au cours de sa vie, des amitiés passionnées pour des filles. Enfant elle se livra d'abord à des jeux sexuels : «se mettre des bâtonnets dans la vulve», ou se faire administrer des lavements par des fillettes plus âgées, ce qui lui procurait un plaisir extrêmement vif dont elle a gardé très nettement le souvenir. Mais surtout, à l'adolescence, elle éprouva une très violente passion pour une infirmière américaine qui cantonnait près de chez elle. Rien ne permet de croire que cette amitié fut sexualisée mais tout montre qu'elle fut intense ; elle se trouvait très heureuse auprès de cette femme qui, type accompli de la bonne mère, la comprenait, l'aimait, la traitait en égale. Plus tard, l'infirmière partie, elle renoua des relations de ce genre, en général avec des amies plus âgées.

Son mariage fut une union de convenances et d'intérêt ; son mari était professeur, mais surtout officier de réserve, ce qui la flattait et annulait le sentiment d'infériorité personnel que lui avait causé la situation de sous-officier de gendarmerie de son père. Au surplus, il contrebalançait ses avantages qui eussent pu faire de lui un homme puissant, et par là l'effrayer, par des caractéristiques psychologiques très féminines ; il était doux, très bon, très dévoué et elle sentait confusément qu'il ne la dominerait jamais. Elle réussit d'ailleurs à le castrer complètement sur tous les modes par ses angoisses, ses exigences doucereuses, tout en ayant, dans son comportement journalier, une absence apparente de volonté et d'initiative qui ressemblait fort à sa passivité envers sa mère. Au fond, elle eut avec lui l'attitude ambivalente typique qu'elle ne cessa de déployer à l'égard de sa mère.

Quant à ses enfants, si le second échappe très lentement grâce à l'analyse de sa mère à une inhibition au travail qui risquait de compromettre ses études, l'aîné, au caractère marqué, a réussi très brillamment au point de vue professionnel. Il causait, dans son enfance, à la malade qui sentait sa forte personnalité, un sentiment de terreur panique. Elle n'osait rester seule avec lui. Ce garçon s'est marié très jeune, mais s'il a pu échapper à l'étreinte de sa mère, il lui témoigne un désintérêt glacial dont elle souffre beaucoup et, surtout, il se conduit de façon névrotique avec sa jeune femme.

ANALYSE.

Nous ne pouvons donner ici qu'un bref résumé de cette analyse encore en cours et qui dure depuis 14 mois. Notre intention est d'insister surtout sur les éléments significatifs de cette observation et plus précisément sur l'étude du transfert et des rêves.

Il est évidemment tout à fait arbitraire de diviser une analyse en plusieurs périodes, mais ici deux phases semblent à peu près nettement tranchées, l'une essentiellement d'opposition, pendant laquelle rien ne semblait bouger, l'autre essentiellement évolutive tant en ce qui concerne le transfert que la structure psychologique de la patiente. Le passage de l'une à l'autre nous a paru déterminé par l'interprétation d'un rêve qui traduisait un désir inconscient de possession phallique.

La phase d'opposition.

La situation, au départ, ne semblait guère satisfaisante. Quoiqu'elle fût extrêmement anxieuse, demandant d'être immédiatement prise en traitement, cette femme entendait manifestement imposer à l'analyste les conditions dans lesquelles elle acceptait d'être traitée. Notre attitude fut tout à la fois extrêmement ferme et empreinte d'une sympathie bienveillante. Le même phénomène paradoxal se reproduisait avec nous ; quelques séances de traitement suffisaient à la libérer de ses obsessions religieuses, en même temps qu'elle affichait à l'égard de son médecin une opposition si nettement formulée qu'elle ne pouvait elle-même qu'en être frappée, elle gardait un silence à peu près total qu'elle n'interrompait que pour dire : « je ne veux rien vous dire, c'est trop humiliant, dégradant, ridicule, je connais assez bien les médecins pour savoir qu'entre eux ils se moquent de leurs malades - il n'y a aucun motif pour que vous échappiez à la règle, d'ailleurs vous êtes plus instruit que moi, vous allez vous moquer de ma naïveté - c'est impossible pour une femme de parler aux hommes. » De fait, elle exposait sur un mode très général les sentiments que lui inspirait un homme jugé fort : infériorité-peur. Il nous fut possible, dès ce moment, de hasarder une hypothèse : il n'y avait, disions-nous, aucune raison pour qu'une analyse, à peine commençante, ait pu produire un résultat si surprenant : il fallait donc admettre que toutes ces manifestations d'indépendance auxquelles elle se livrait remplaçaient toutes ses obsessions verbales qui exprimaient en fin de compte un sentiment de révolte à l'égard de Dieu et de sa loi, « affect » dont elle avait elle-même admis l'existence. Au surplus, elle nous révélait bientôt une obsession toute particulière qui la remplissait de terreur. Souvent, quand elle avait bien extériorisé sa colère à l'égard de son mari, elle était saisie d'une pensée inattendue : « si mon mari était Dieu ? » Ainsi il y avait pour elle une analogie certaine entre l'homme avec qui elle vivait et Dieu, et ce chaînon intermédiaire nous permit de lui faire sentir facilement le bien-fondé de notre suggestion : si elle concentrait toute son hostilité sur nous, elle se détournait de l'objet habituel de sa rébellion. D'ailleurs, le traitement se poursuivant et ses sentiments envers nous étant un peu moins chargés d'agressivité, elle devint à nouveau injurieuse et scatologique dans sa vie religieuse et comprit fort bien ce qui se passait, mais ce ne fut que beaucoup plus tard que son acrimonie envers nous diminua franchement. Pendant des mois, elle resta silencieuse, n'ouvrant la bouche que pour se plaindre ; à ces préventions habituelles contre l'homme, se joignait un grief très important et bien particulier : elle nous reprochait de lui prendre de l'argent. Le paiement des honoraires était, en effet, l'une des choses auxquelles elle avait le plus de mal à se résoudre. Nous nous étions efforcé de déterminer avec soin une somme qui était compatible avec une prolongation indéterminée de traitement mais qui, eu égard à son budget, était pour elle une gêne réelle, ce qui constituait en fin de compte une sorte de pression continuelle de la réalité extérieure, l'invitant à parler et à ne pas prolonger indéfiniment l'exercice de cette forme muette d'hostilité à laquelle inconsciemment elle tenait si fort. Ce sacrifice monétaire, auquel elle essaya d'échapper de toutes les manières quand il lui advint de manquer une séance, en invoquant de pseudo-cas de forces majeures, prétextes que nous n'acceptâmes jamais, tout en prenant soin de lui en démontrer la vanité, lui était d'autant plus pénible qu'il lui interdisait, disait-elle, de s'acheter les mille accessoires de la coquetterie féminine : « Vous accroissez ainsi mon sentiment d'infériorité, quand je me compare aux autres, je souffre d'être mal vêtue. » Elle ressentait nos exigences comme une punition ou mieux comme une sorte de diminution de puissance - elle ne pouvait se mettre en valeur. Connaissant son attitude hostile à l'égard des hommes, ayant déjà interprété sa conduite à l'analyse comme un refus de se plier à une règle imposée par un homme, nous fûmes tout naturellement amené à lui demander ce qui lui venait à l'idée à propos de ce besoin de plaire qui lui semblait si vif. La réponse fut conforme à notre attente : « Quand je suis bien habillée, les hommes me désirent et je me dis avec une joie très réelle : en voilà encore qui en seront pour leurs frais. Je suis contente d'imaginer qu'ils puissent en souffrir. » Ainsi ses préoccupations vestimentaires n'étaient-elles qu'un des multiples aspects de sa haine de l'homme. A ce moment, la malade liait parfaitement, comme équivalents, les manifestations obsessionnelles religieuses à l'égard de Dieu, les troubles de comportement à l'égard de son mari et enfin son refus de l'analyse, puisqu'à vrai dire elle venait surtout aux séances pour affirmer qu'elle ne dirait rien. Elle essaya plusieurs fois de rompre le traitement, se disant guérie comme on sait, renonça à ses projets de fuite devant le rappel du caractère trompeur de ses améliorations précédentes et devant l'affirmation énergique que nous n'étions pas décidé à la reprendre en traitement si elle interrompait sa cure malgré notre avis formel. Elle produisit à ce moment une petite phobie montrant combien elle était irritée de ne pouvoir nous imposer sa volonté : « Si je me suicidais ou si je mourais, le docteur serait peut-être accusé de meurtre et condamné », ce phantasme étant conçu sous forme de crainte. Elle se plaignait toujours de la charge financière du traitement, énumérait complaisamment tous les achats qu'elle aurait pu se permettre et revenait sans cesse sur le désir qu'elle avait de se procurer des chaussures. Les hommes, disait-elle, étaient très sensibles à la vue d'une femme bien chaussée.

Puis vint le rêve qui vers le cinquième mois du traitement devait permettre à l'analyse de progresser enfin et de s'engager dans une voie nouvelle : « je suis dans le service hospitalier où je travaille, ma mère vient dans le service ; elle dit du mal de moi à la surveillante. Je suis furieuse et je sors. Je rentre dans la boutique d'un savetier qui se trouve en face de l'hôpital et j'achète une paire de chaussures : puis tout d'un coup, ouvrant la fenêtre, je me mets à injurier violemment ma mère et le chef de service. » Nous connaissions déjà ses sentiments à l'égard de sa mère ; elle nous dit détester la surveillante qu'elle trouvait injuste et à qui elle n'osait jamais répondre. - Les chaussures choisies étaient très pointues. Elle s'engagea ensuite dans une digression relative à l'entretien, qu'elle assurait, des chaussures de son père ; puis elle vint à parler du cordonnier qui était un homme jeune, brun, et qui n'était pas sans présenter quelque analogie avec nous. Quant au Chef de Service, il était à la fois aimé parce que très juste (comme son père) et redouté en raison de son renom et de l'appareil qui l'entourait. Nous lui fîmes alors remarquer que dans la première phase du rêve, elle ne pouvait que supporter l'injustice de sa mère et qu'après avoir été acheter des chaussures, il lui était possible de se révolter ouvertement. - Or, cet accessoire était précisément de ceux dont l'analyse la privait. De plus, le cordonnier, à qui elle donnait de l'argent, ressemblait fort à l'analyste. Il était donc clair qu'elle désirait obtenir de ce dernier quelque chose qui lui permit de s'affranchir de la crainte de sa mère, dont l'éducation trop sévère était pour beaucoup dans sa maladie, selon sa propre conception, et que ce quelque chose était manifestement symbolisé par des chaussures qui l'avaient amenée à penser à celles de son père. Nous n'allâmes pas plus loin ce jour-là, nous contentant d'ajouter que cette même partie du costume féminin l'aidait à vaincre son sentiment d'infériorité et lui permettait d'exercer une petite vengeance antimasculine.

Nous pensions par-devers nous que ce rêve exprimait un désir de possession phallique. Le pied bien chaussé étant représentatif du phallus puissant. La possession seule de cet organe pouvant lui conférer la puissance, lui permettant de renverser la situation infantile de soumission absolue à sa mère et de prendre à son tour la position dominante. Bien entendu, ce rêve pouvait avoir une signification plus précise, le besoin d'identification au père qui y était révélé pouvait laisser entrevoir l'existence d'un désir plus sexualisé de domination de la mère. Mais la suite de l'analyse n'a pas formellement étayé une hypothèse de ce genre. La malade n'a jamais produit de fantasme de possession génitale de la mère.

Quoi qu'il en soit, le contenu du rêve était bien celui dont nous lui avions fait pressentir l'existence. Elle. nous rapportait peu après deux fantaisies oniriques qui la surprenaient beaucoup : « je me vois avec l'un de mes seins transformé en verge. - C'est extraordinaire, la nuit dernière je me suis encore vue, mais cette fois avec une verge entre les deux seins. » Elle produisit d'ailleurs successivement deux ou trois autres rêves dans lesquels son désir d'identification masculine avec possession phallique, et la signification de ce désir dans le cadre de ses relations avec sa mère, étaient exprimés clairement. En voici un exemple : « Je fais réparer ma chaussure chez un cordonnier, puis je monte sur une estrade ornée de lampions bleus, blancs, rouges, où il n'y a que des hommes - ma mère est dans la foule et m'admire. »

A l'aide de tels documents, il nous fut possible d'analyser de façon encore superficielle ses relations avec les représentants du sexe opposé et avec Dieu conçu sous une forme évidemment très anthropomorphique. N'apportait-elle pas la fantaisie suivante : « J'ai rêvé que j'écrasais la tête du Christ à coups de pied, et cette tête ressemblait à la vôtre » - et en association, l'obsession suivante: - « Je passe chaque matin pour me rendre à mon travail devant un magasin des Pompes Funèbres, où sont exposés quatre Christs. En les regardant, j'ai la sensation de marcher sur leur verge. J'éprouve une sorte de plaisir aigu et de l'angoisse. »

Ainsi, le désir d'avoir un pénis, fourni par l'analyste, était-il accompagné d'un phantasme de destruction de l'organe du médecin. La tête écrasée n'était autre que la verge, que l'obsession évoquée en association montrait être l'objet direct de l'agressivité.

Elle se montra à cette époque particulièrement hostile, coléreuse, fut parfois scatologique, mais n'extériorisa pas, à ce moment du moins, d'autre phantasme de castration directe de son médecin, malgré tout le soin mis à interpréter ses moindres manifestations d'agressivité.

Tout homme est a priori un adversaire, un ennemi de qui elle a peur, devant qui elle se sent en situation d'infériorité et, de plus, il lui est interdit de frayer avec lui. Son sentiment de peur et d'infériorité, elle en rend volontiers en effet sa mère responsable: Ne lui a-t-elle pas toujours défendu de fréquenter les garçons qu'elle lui représentait comme dangereux ? Et en ne lui permettent pas d'avoir avec eux des relations saines, ne l'a-t-elle pas rendue incapable de se mesurer avec eux, de jouer avec facilité son rôle de femme ? « Les hommes me font peur - Ma mère m'a dit qu'ils étaient dangereux, qu'il fallait se méfier, qu'il était immoral d'avoir avec eux des relations intimes, même d'amitié - Comment voulez-vous que je sois à l'aise puisque je n'ai jamais été autorisée à les fréquenter et à en prendre l'habitude. »

Mais derrière tout ceci, se cachait une raison plus profonde de conflit avec l'homme, conflit évidemment culminant, chaque fois qu'une particularité quelconque : richesse, savoir, caractère, force, lui permettait de se représenter un homme comme plus particulièrement possesseur de la puissance. Elle nourrissait, inconsciemment bien entendu, comme l'analyse venait de le montrer, des sentiments de haine et d'envie envers ces êtres qui possédaient ce dont elle avait toujours été privée : le pénis dans lequel son psychisme d'enfant avait vu l'attribut essentiel de l'exercice de la puissance, de nombreux phantasmes l'ont montré, en particulier en ce qui concerne la destruction de l'enfant symbole du pénis. « Les hommes ont une vie tellement facile - si j'étais un homme ! » répétait-elle souvent. - Mais l'on pouvait se demander si ce complexe de castration féminine, si douloureusement ressenti, était né à la suite de relations malheureuses avec des hommes brutaux, qui lui eussent fait ressentir le poids de leur force. En dehors de ce traumatisme de l'âge de trois ans que nous avons rapporté plus haut, elle n'eut jamais à souffrir de la contrainte masculine. Son père était bon, et surtout faible, et sans autorité personnelle, et elle ne retrouve rien qui eût permis de supposer qu'elle eut à souffrir de son fait. Il semble au surplus qu'elle n'ait jamais couché dans la chambre de ses parents ; elle n'aurait jamais surpris son père à demi-nu. Mais nous savons bien qu'il n'est pas besoin de traumatisme effectif de ce genre pour que se développe chez une fillette l'envie du pénis et le désir de destruction de celui d'autrui. Elle n'avait au fond jamais vécu concrètement un conflit prolongé avec un homme réel, par contre, toute sa vie n'avait été qu'une longue lutte avec sa mère. Une grande partie de l'agressivité déployée contre l'homme porteur du pénis ne prenait-elle pas sa source dans ses relations malheureuses avec celle-ci ?

Or, la suite de l'analyse devait démontrer qu'elle se faisait d'elle une représentation phallique et qu'elle lui attribuait un sexe dont le modèle lui avait été fourni par une expérience quotidienne : la vue d'animaux représentés certainement comme très forts et très dangereux.

D'ailleurs, s'il ne nous a pas été possible d'analyser à ce moment de façon complète les rêves où Renée voit ses seins transformés en pénis, cette transformation même n'indique-t-elle pas combien l'analogie est grande entre l'organe nourricier attribut essentiel de la puissance maternelle et celui de la puissance génitale ? Si elle voit ses propres seins transformés en pénis, ne reporte-t-elle pas sur le pénis de l'homme l'agressivité orale dirigée primitivement contre le sein maternel ?

Mais, si cette agressivité orale est, en fin de compte, le primum movens de ses affects de castration masculine, il nous paraît intéressant de continuer à montrer comment devint évident pour la malade, cette transposition de son agressivité de la mère à l'homme.

Deuxième phase de l'analyse.

Elle n'admit pas d'emblée ce désir de possession phallique pourtant clairement exprimé, et si elle acceptait maintenant notre analyse de ses rapports avec Dieu, son mari et nous-méme, elle n'en maintenait pas moins son opinion sur le caractère artificiel et proprement arbitraire de nos interprétations de ses rêves. «je n'ai jamais désiré être un homme», disait-elle. Quoi qu'il en soit, à partir de ce moment, son comportement à l'analyse changea, ce qui signifiait évidemment que son transfert évoluait. Ce fut d'abord à peine perceptible et cela se traduisit uniquement par la cessation de son attitude récriminatrice; elle ne répétait plus que sa position était humiliante, qu'elle avait peur, et qu'elle donnait de l'argent injustement, comme si ses préventions à l'égard de l'analyste homme étaient tombées ; par contre, elle était presque aussi silencieuse. Elle put fournir quelques rêves prouvant le caractère agressif de ses pratiques castratrices sur son mari. Elle extériorisa à cette époque ses désirs de mort contre son père et retrouva le souvenir de ses obsessions d'étranglement. De cette époque aussi date la phobie qu'il ne nous arrive un accident, expression évidente d'un désir de mort. Un peu plus tard, un autre progrès sensible s'exprima sous une forme très discrète : un changement dans l'expression verbale de la résistance ; elle ne disait plus : « je ne veux pas parler », elle disait : « je ne peux pas, je ne sais pas ce qui m'empêche de parler. » Il était certain qu'elle était soumise à un débat intérieur intense ; elle sortait de ses séances fatiguée, frissonnante, tachycardique, souvent couverte de sueur. A l'occasion d'un conflit actuel né de l'obligation pascale, elle prit conscience de la similitude de sa révolte contre l'homme, Dieu et la Vierge Mère déifiée. Elle dit alors : « Je hais la contrainte d'où qu'elle vienne, d'un homme ou d'une femme. - Les injures que j'adresse à la Vierge, je les ai certainement pensées à propos de ma mère, mais je n'osais pas me les dire en moi-même. »

A cette époque elle fit un rêve où la Vierge était à la fois représentative d'une mère idéale uniquement préoccupée de son enfant, et d'une femme très sexualisée à qui le père confessait sa foi.

Peu à peu, l'orage s'apaise, en partie parce que le problème pascal, d'actualité seulement pendant une période très limitée, perd de son acuité, le temps de la communion obligatoire étant passé, en partie aussi du fait des explications et interprétations analytiques. Le transfert avait, ainsi que l'on pouvait s'en rendre compte à de tout petits signes, perdu beaucoup de son agressivité.

L'analyste était d'abord un adversaire, contre qui l'on s'essayait toutes les mesures de castration qui avaient si bien réussi avec le mari, puis, quand le désir de possession pénienne devint conscient, ainsi que l'agressivité de castration concomitante, le fossé qui séparait tout homme de la malade se trouva en partie comblé. L'homme devenait un allié. La malade ne refusait plus de coopérer avec lui, elle disait : «je veux parler », mais se heurtait à une force intérieure plus puissante que sa détermination consciente et contre laquelle elle luttait avec énergie et ténacité. Le résultat pratique de cette coopération n'était peut-être pas encore très sensible, mais l'orientation des rapports analyste-analysée était différente et laissait présager des développements ultérieurs. Au fond, il ne s'était passé rien d'autre que cette révélation du désir du pénis, et du sens de ce désir. L'homme-analyste avait perdu ses caractères d'être qui domine, qui fait peur, qui se moque, du moins en partie. Il était devenu bienveillant. Sans doute était-il toujours aussi interdit, puisqu'il était défendu de lui parler, mais les interdictions du surmoi féminin infantile devenaient moins rigoureuses, en même temps que s'annonçait une confusion significative entre l'imago analytique et celle d'une mère accueillante. En voici la première figuration onirique ; disons tout d'abord qu'elle fut précédée d'un rêve de réconciliation avec sa belle-mère qui s'était opposée à son mariage et secondairement s'était suicidée au cours d'un accès dépressif, la belle-famille de Renée la rendant indirectement responsable de cet accident. « Mme X... me propose d'aller avec elle remercier la vieille dame de tout ce qu'elle a fait pour moi - je suis très inquiète car la vieille dame habite chez vous. Que va-t-elle dire, lorsqu'elle saura que je viens chez vous. - Nous y allons. - C'est vous qui me recevez. - Nous avons une conversation normale et non une séance d'analyse. - je suis très contente. »

Nous ne pouvons vous exposer ici le détail de ses associations. Dans ce rêve, elle désire s'identifier à Mme X.... femme qui a su conserver son indépendance en matière religieuse malgré son mariage avec le ministre d'un culte répandu en France.

Quant à l'image de l'analyste, elle est à la fois celle d'un homme avec qui elle a des relations normales et d'une mère qui se montre compréhensive et non plus interdictrice. Il y a là au moins une indication de la double signification de la représentation qu'elle se fait de l'analyste.

Moins d'un mois après la crise de Pâques, son état s'est grandement amélioré. Elle est heureuse au milieu des siens, se livre avec gaieté à des travaux d'aménagement dans son intérieur ; elle repeint tout à neuf. Elle ne s'est jamais sentie aussi gaie ; ses obsessions sont tout aussi nombreuses, mais elle n'en ressent plus aucune culpabilité. Elle arrive assez facilement à dominer sa répugnance à parler. Elle apporte une multitude de documents que nous avons condensés plus haut et sent qu'elle est sur la bonne voie. Un matériel plus directement représentatif des phases prégénitales commence à faire son apparition, comme dans ce rêve où elle accepte de renoncer à son « pénis noir » pour devenir réellement femme. Elle rêve : « je suis sur la scène du Châtelet, je ne sais pas mon rôle et je dois sans cesse inventer. - je joue avec un homme jeune. Le soir il y a une seconde représentation - je ne sais comment faire. - Entre les deux, je vais aux toilettes et j'élimine une quantité énorme de matières fécales de forme particulière. - je me sens soulagée - je joue mieux. » Tout ceci est très clair, si l'on sait que la situation de théâtre était une situation amoureuse ; que l'homme jeune symbolise son mari et que les matières éliminées étaient en forme de verge.

Mais puisque ce travail est centré sur l'étude des réactions de transfert et de leur sens, ainsi que sur celles des modifications de la structure psychologique, autrement dit du surmoi, revenons à l'exposé de rêves qui, comme celui-là, montrent le pourquoi de cette ambiguïté de l'imago masculine, qui est l'objet de pulsions agressives, puisqu'elle possède la puissance phallique attribuée par ailleurs à la mère toute puissante.

A vrai dire, le rêve que nous allons relater est un phantasme de réconciliation avec la mère phallique ; il succède à tous ceux au cours desquels Renée recevait la puissance phallique des mains de l'analyste, ou, plus exactement, acquérait le droit à la recevoir en contrepartie de son sacrifice monétaire ou anal. - « je me retrouve avec mes camarades. Certaines d'entre elles vont passer un examen et comme je n'ai pas mon brevet, l'une d'elles me dit méchamment: Vous devriez concourir. Je refuse, puisque je l'ai obtenu par équivalence. Notre Directrice me soutient. A ce moment, elle relève brusquement ses jupes et je trouve qu'elle exagère. Elle a les jambes et les cuisses entièrement noires. Plus tard, je suis dans un jardin, une de mes collègues, que j'aime beaucoup, me tend une branche de pommier en fleurs. Je la refuse en lui disant : J'aime les longues tiges. » Pour donner tout son sens à ce rêve, il est nécessaire de rapporter avec assez de détails les associations fournies. Le fait de n'avoir pas obtenu son diplôme par concours est pour elle un sujet de préoccupations constantes, elle se sent en état d'infériorité et craint d'être jugée incapable, malgré tous les encouragements qu'on peut lui apporter. La Directrice lui est très favorable. Elle la soutient, l'encourage et lui témoigne de l'affection. Les cuisses noires évoquent une affiche représentant une danseuse de couleur, sur le tutu de qui un mauvais plaisant avait dessiné un énorme phallus, de telle manière qu'il semblait appartenir à l'artiste et, comme nous insistions un peu pour essayer de retrouver la trace d'un traumatisme par vision d'organes génitaux, elle nous dit : « Oui, ces jambes me font penser à celles des chevaux de la gendarmerie. Quand ils étaient en érection, je me demandais ce qu'ils avaient, cela m'intriguait - je ne me rappelle pas autre chose. Si... quand j'étais toute petite, je m'amusait avec d'autres petites filles à me mettre un petit bâtonnet dans la vulve. je ne vois pas autre chose. " Ainsi se précisait l'origine du désir de possession pénienne, la concrétisation par cet organe de toutes les possibilités de puissance.

Quant à la deuxième partie du rêve, au sens presque évident, elle provoque les associations suivantes : la collègue est une femme aimée par la malade, énergique, droite et bonne comme l'infirmière américaine, ; la branche de pommier évoque une chanson très tendre du « Pays du Sourire » (une image montrant deux pigeons se becquetant sur un pommier en fleurs) (souvenir d'enfance). Le fait que la tige ne soit pas assez longue, la ramène à une réflexion faite par elle au cours de son dernier rapport sexuel. Elle dit à son mari : « Mais entre donc davantage. » Ainsi la mère est, dans la première phase de ce long rêve, adornée du pénis. Dans la seconde, la malade traduit son désappointement de ne recevoir, au milieu du jardin très sombre, qu'une branche symbolique insuffisante (le petit clitoris), mais ce rêve se déroule dans une atmosphère douce et apaisante, le conflit tend à se résoudre et la dormeuse, si elle n'accepte pas encore son état de femme, connaît une atmosphère d'apaisement. Mais aussi sans doute, ce rêve exprime-t-il sans angoisse le désir de s'annexer librement le phallus de son mari, mode de résolution classique du complexe de castration féminine.

La démonstration de cette confusion des images analytique et maternelle, phalliques toutes deux, est objectivée dans ce rêve de transfert franchement positif avec encore une teinte de castration : « je suis en séance chez vous. Un enfant de 7 à 8 ans est présent - Vous êtes revêtu d'une longue robe noire comme les médecins de Molière, mais sans chapeau pointu - Vous vous placez sur moi, comme pour me posséder. Je trouve cela tout naturel - Vous relevez alors votre robe et vous dites : mais parlez donc ! » Voici quelques associations. La robe noire : celle des médecins de la comédie classique. Les clystères : « quand j'avais 10 ans, je me laissais administrer des lavements par des fillettes plus âgées et j'en éprouvais une véritable volupté - Ma mère me donnait des lavements - D'ailleurs, elle portait toujours une robe noire - Un rapport sexuel avec vous me semble normal - Quant au garçonnet c'est mon fils. Vous savez que constatant pendant les vacances son désaccord avec sa jeune femme et pensant qu'il était dû à une névrose provoquée par mon éducation trop sévère, je lui ai avoué que je suivais un traitement chez vous et tout le bien que j'en retirais. Ce fut un très dur sacrifice. » Ainsi, elle ne perçoit plus l'humiliation ressentie jusqu'alors d'être une femme. Il est à remarquer que ses rapports sexuels se font sur un mode prégénital. Il est aussi à noter la surdétermination de son silence : Parler, pour elle, équivalait bien à une soumission sexuelle à l'homme ou à la mère masculinisée, quoiqu'il s'agisse d'une activité orale en elle-même fortement culpabilisée. Voici un très joli rêve qui, malgré bien des incidences prégénitales orales, semble marquer une tendance à une évolution œdipienne normale : « je suis sur les boulevards - Le roi d'Angleterre passe en cortège avec sa femme au bras. Je lui parle et lui dis combien mon fils est heureux de se trouver dans ce beau pays. Il me remercie et m'invite à dîner - Je repars à son bras - La reine s'est effacée - Nous arrivons dans une petite maison - je me trouve alors en présence de laquais qui me montrent une desserte où se trouvent des cristaux de forme variée. Ils m'invitent à choisir une coupe. Je leur réponds que je n'en ai pas envie - Puis je vais dans les communs et je me trouve en présence de ma mère qui fait sa lessive - Elle a ses cheveux blancs en désordre - je lui dis : « Mère, mettez vos chaussures, il faut venir au banquet du Roi. » A ce moment, une dame en manteau de cour me dit de me hâter. Elle a quelque chose d'important à me dire. - Depuis ce rêve, j'éprouve un étrange sentiment de joie et de confiance. Je suis sûre que j'arriverai à bout de ma maladie et même de mes obsessions religieuses - Hier à l'église je me suis avancée jusqu'au maître-autel je n'avais pas fait cela depuis 20 ans car, il faut bien vous le dire, j'ai eu des obsessions sexuelles, en réalité, depuis mon mariage. »

Elle associe spontanément : « le roi, c'est mon père sous son uniforme, et vous, par les traits - J'oubliais de vous dire : à la porte de la petite maison, j'ai croisé la Reine Mary, elle m'a regardée d'un air sévère. C'est ma mère quand elle est lointaine. La maison est celle que j'ai toujours rêvé d'avoir dans les premières années de mon mariage, une maison claire, au milieu des fleurs, un mas provençal. Quant aux cristaux que je ne veux pas accepter, ils me font penser à une chanson comique sur les bonnets des marmitons (il y en a de grands, de petits, de carrés, de pointus) que j'ai entendu parodier avec des allusions sexuelles ; ils m'évoquent l'idée d'un pénis - Ma mère faisant la lessive me fait penser à la façon dont je la considère maintenant - je n'avais pas jusqu'ici perçu combien elle s'était dévouée pour nous tous et d'ailleurs, elle a bien changé. - Elle me paraît maintenant aussi bonne qu'elle me semblait méchante - Aux dernières vacances, je l'ai vue s'épuisant de travail afin que nous puissions nous distraire. A la réflexion, c'est moi qui me suis modifiée Elle a toujours 'té comme cela, seulement je souffrais tellement de ses mauvais côtés que je ne sentais plus ce qu'elle avait de bien ; je sais, et vous me l'avez fait découvrir, que je l'aimais plus que tout, mais je ne pouvais supporter son autoritarisme et dé plus je me croyais délaissée. Quant à la femme au manteau de cour, c'est la fée des contes de mon enfance. »

« J'insiste, ajoute-t-elle encore, sur l'impression de bonheur ineffable que j'ai ressentie ce matin à mon réveil, la vie s'ouvrait devant moi, toute lumineuse et calme, je n'avais plus peur de rien - je sentais que j'étais comme les outres, ou tout au moins de la manière dont j'imagine les autres - je ne demande qu'à vivre heureuse dans mon ménage, à y tenir ma place, à jouir de l'affection de mon mari et de celle de mes enfants. »

Comme on le voit, ce rêve semble indiquer que la malade s'engage sur la voie d'un transfert positif génitalisé, et que s'ouvre une troisième phase pourrait-on dire de l'analyse. Il est d'ailleurs contemporain de toute une série de rêves où elle semble vouloir se détourner avec horreur de toute manifestation agressive. Dans ce phantasme en tout cas, sa mère n'est plus qu'un personnage qui s'efface, « la vieille dame qui fait sa lessive », l'épouse du roi d'Angleterre qui disparaît au moment où elle prend le bras du roi. Si elle peut avoir encore un aspect intimidant, la reine Mary, elle ne l'empêche pas d'entrer dans la maison. - Dans ce rêve aussi, elle peut s'adresser au roi, lui dire des choses aimables, et celui-ci lui octroie la place de la reine dans le cortège.

Ce rêve semble bien montrer la naissance d'un désir œdipien positif. Elle renonce à la possession du pénis, elle accepte l'invitation du roi, dont elle sera l'obligée, mais la persistance de pulsions prégénitales s'y traduit par l'invitation à un repas ; les rapports avec le roi sont d'ordre alimentaire. D'ailleurs le symbolisme du refus de la coupe est 'évidemment complexe, si la malade l'interprète spontanément comme la traduction de son abandon de ses prétentions à la puissance phallique en est-il bien ainsi ? N'est-ce pas un symbole du pénis « creux », expression du désir normal d'assimilation du pénis de l'homme par une femme très réceptive, comme certains analystes l'ont voulu ? L'intensité de la fixation maternelle est en tout cas indiquée par la nécessité qu'elle éprouve de conduire sa mère au banquet du prince.

L'analyse a continué à progresser et le transfert positif ,,'est précisé avec ses caractéristiques d'œdipe très fortement prégénitalisé, en même temps qu'est sorti un matériel plus révélateur encore du parallélisme des réactions de la malade envers l'homme et envers sa mère. Voici un rêve choisi entre plusieurs autres. (Elle était ce jour-là en conflit avec sa mère, et ceci explique peut-être, en partie, le caractère plus spécialement sadique de ce matériel, en réponse au déchaînement momentané de sa propre agressivité.) « Dans un souterrain, un homme me poursuit, j'ai peur - Il m'atteint et essaie de m'étrangler - A ce moment, mon mari m'a réveillée car je me débattais et criais - L'homme c'est vous - Vous ne pouvez savoir combien je suis dépitée d'avoir à vous le dire. Je me défends, je me révolte. Vous m'irritez avec votre silence, votre force, comme ma mère ; pourtant je pense continuellement à vous. Je voudrais rompre l'analyse plutôt que de me trouver dans une situation aussi dangereuse, aussi humiliante : aimer un homme qui se moque de vous, c'est se prostituer. La tentative d'étranglement me suggère qu'enfant j'aurais tant désiré prendre ma mère par le cou pour l'embrasser et la serrer de toutes mes forces, mais elle ne me le permettait pas - Ah ce que je la hais - c'est vrai, je voulais aussi étrangler mon père » Elle éprouve, dans ce rêve, la peur d'être traitée par nous de la même manière à la fois sadique et amoureuse dont, enfant, elle désirait user avec sa mère, mais l'affect agressif était seul perçu dans son obsession d'étranglement de son père, élaborée à l'âge de 15 ans. Elle ajoute : « Quand mon mari s'endort sans s'intéresser à moi, j'ai envie de le tuer. Pendant la guerre, je couchais avec ma mère : quand elle était indifférente, j'avais aussi envie de la tuer. » Puis il lui revient en mémoire une obsession de grand sadisme. - Essayons maintenant une interprétation synthétique du transfert.

Le transfert que cette malade revit dans la situation analytique a évolué de façon progressive, mais non continue, c'est-à-dire avec des oscillations marquées vers un état de confiance et de détente qui contraste vigoureusement avec l'expression essentiellement négative qu'il prenait au début. Résumons ce que nous en a appris l'étude. Dans une première phase et avant que ne fût devenu conscient le désir de possession phallique, l'attitude d'opposition était, apparemment tout au moins, entièrement dirigée contre l'homme. Non seulement elle avait, vis-à-vis de son analyste, une conduite absolument analogue à celle qu'elle avait envers son mari, mais ce fut à la fin de cette phase du traitement qu'elle prit pleinement connaissance de son agressivité pour son père et son médecin. En réalité, ces sentiments hostiles, spontanément irréductibles, quelle que soit la conduite de l'homme, étaient à n'en pas douter non seulement la résultante de la position psychologique de la malade en face du couple parental, c'est-à-dire de son identification à son père et de l'inversion œdipienne, mais encore d'un transfert, si l'on peut s'exprimer ainsi, des affects agressifs primitivement éprouvés à l'égard de la mère, notion d'ailleurs parfaitement classique et maintes fois objectivée. Nous croyons l'avoir suffisamment démontré dans cette observation. Il nous a paru intéressant de noter qu'en même temps que se traduisait dans des rêves le désir d'une identification au père (recevoir de l'analyste des chaussures qui feraient d'elle un être phallique), la sévérité de la censure, expression du pouvoir inhibiteur du surmoi féminin infantile, allait s'atténuant ; elle pouvait alors reconnaître, dans les injures adressées à la Vierge Mère, les vocables, qu'enfant, elle n'avait jamais osé se permettre de penser clairement, même en son for intérieur, à l'égard de sa mère réelle pour ne citer qu'un exemple. Ce n'est, pensons-nous, qu'en ne perdant pas de vue la réalité d'une projection sur l'analyste, et d'une manière plus générale sur l'homme avec qui de telles malades nouent des relations intimes, de l'agressivité primordiale anti-maternelle, que l'on peut comprendre un tel résultat. La prise de conscience du désir de castration du médecin équivaut en outre à une déculpabilisation de l'agressivité vis-à-vis de la mère phallique, si, par ailleurs, la remémoration du désir de possession phallique permet une identification au père, porteur du pénis. Nous ne nous étendrons pas davantage sur l'aspect négatif du transfert de Renée, auquel une grande partie de cet exposé a été consacrée, et que nous ne venons de résumer brièvement ici que pour montrer que l'ambiguïté de l'imago analytique apparaît tout aussi bien dans l'analyse de l'aspect négatif que de l'aspect positif du transfert de la malade. Nous ne voulons pas revenir sur la condensation onirique du personnage du médecin et de la mère, à laquelle nous avons déjà suffisamment fait allusion, mais nous voudrions faire ressortir, en terminant cet essai d'analyse du transfert, combien, même lorsque ces images sont dissociées et qu'une orientation œdipienne et personnelle du transfert semble se dessiner, la réaction de la patiente à l'égard de l'homme est modulée sur le schème de ses relations avec sa mère. « Je n'ai évidemment jamais éprouvé dit-elle, avec mon mari, le bonheur parfait que me donne la compagnie des femmes qui m'aiment et que j'admire, mais je suis par rapport à vous deux dans une situation analogue à celle où je me trouve avant de rencontrer ma mère, que je crains toujours de trouver hostile. Je pense à ce que sera l'expression de votre visage : si je le trouve ouvert, je me sens mieux, je deviens gaie ; s'il me semble renfermé, je me sens immédiatement devenir méchante et hostile, tout comme avec ma mère, quand elle a son air sévère et froid. Cela est d'ailleurs maintenant moins net. je sens que vous êtes bon, que je puis foncièrement compter sur vous, mais ce sentiment amoureux que j'éprouve m'effraie toujours. »

Ainsi, l'on saisit sur le vif, dans le concret de la vie, ce qui rend impossible à cette malade une issue satisfaisante de sa libido vers un objet hétérosexuel, L'homme porteur du pénis est l'image vivante de la mauvaise mère qui frustre et domine toujours, quelle que soit son attitude réelle, et sans doute tant que ne sont pas exposées et acceptées les pulsions orales de destruction phallique. Il résulte de ceci que toute situation de transfert amoureux est ressentie comme éminemment angoissante, tant du fait de la peur qu'une telle situation, correspondant à un abandon de la fixation maternelle, ne peut manquer de provoquer que - et cela nous apparait comme la source essentielle de l'angoisse - de ce qu'une telle éventualité comporte d'agressivité et, en fonction de la loi du talion, de crainte, de destruction, de par la transposition sur le pénis, des appétences orales, amoureuses et destructives du sein maternel. - Cette analogie entre sein et. pénis est ici objectivée par la localisation pectorale du phantasme de virilisation qui nous parait très significative. Mais, si la malade, spontanément, exprime l'analogie qu'elle établit entre les deux formes de puissance masculine et maternelle, elle s'oppose à une interprétation visant à souligner cette correspondance par une rationalisation de ce genre

De toute façon, il s'agit d'un appendice. »

L'analyse des pulsions orales s'est toujours heurtée à une vive résistance. La malade a néanmoins souligné elle-même la signification d'un appétit qu'elle n'a jamais pu modérer, malgré les exigences diététiques d'un embonpoint important. « Quant je me limite J'éprouve une angoisse insurmontable. » Elle a bien rapproché de ce symptôme, les visions d'organes génitaux masculins qui, si souvent, lui masquent la vue de l'hostie; mais elle a fait de ce rapprochement une sorte de suggestion de l'analyse, tout en se rappelant à ce propos deux obsessions de son enfance : « Quand j'allais communier, j'étais obsédée la journée durant par la crainte de profaner une parcelle de l'hostie, en la déposant sur un objet que ma bouche pouvait toucher ; aussi je l'avalais gloutonnement, d'un seul coup. » Ici, la pulsion agressive infiltrait le moyen de défense. Le même jour, elle retardait l'exonération fécale dans la crainte que le Corps du Christ soit abandonné, mélangé aux excréments ; mais elle sent maintenant qu'elle éprouvait une sorte de joie en y pensant. Ce sadisme anal, dont elle comprend bien la signification, a pu être plus facilement analysé, elle sent toute la puissance agressive de ses interjections scatologiques à l'égard de Dieu, de la Vierge, de sa mère, de son médecin. Signalons à ce sujet l'obsession suivante, qu'elle rapproche du jeu du lavement : « Quand le prêtre dit : « Ouvrez vos cœurs ", je pense : " Ouvre ton anus... " », Satisfaction symbolique de son érotisme passif anal.

Malgré le caractère incomplet de son analyse, l'amélioration de Renée est importante : ses rapports affectifs se sont extrêmement détendus, elle semble capable d'aimer son mari, sur un mode moins captatif, elle le souhaite plus viril. Sa mère aussi bénéficie de son changement : elle la trouve dévouée, malgré sa rudesse et s'efforce de la comprendre. Elle a encore des retours d'agressivité violente, mais ils durent peu. De plus elle donne à son fils, André, une éducation libérale, sait jouer avec lui et lui parler à l'occasion de problèmes sexuels. Vis-à-vis de son fils aîné, elle est véritablement maternelle, et n'a pas hésité à lui parler d'un traitement analytique, pour corriger une attitude névrotique dont elle se sent responsable, sans éprouver pour cela de sentiment pathologique de culpabilité. - Le plus habituellement, elle se sent très heureuse, s'efforce d'être objective. Ses obsessions religieuses sont extrêmement rares ; elle accueille avec indifférence ces pensées, qui lui traversent l'esprit « en éclair » sans provoquer de réactions affectives. Cette acceptation, sans angoisse, de la survivance du phénomène obsessionnel, jointe à ses possibilités nouvelles de projections libidinales au dehors, nous semble conférer à l'amélioration actuelle un caractère de stabilité au moins relative.

CONCLUSIONS.

Avant d'insister sur le point particulier qui nous a amené à vous présenter ce travail, il nous paraît nécessaire de condenser en quelques lignes les données de cette observation, données qui, pour un certain nombre d'entre elles tout au moins, ont été retrouvées dans plusieurs autres observations de névrose obsessionnelle féminine. - Toutes ces malades ont réagi de façon identique à la situation familiale. Elles sont restées fixées à leur mère, sur un mode infantile, et si elles semblent avoir renversé leur complexe d'Œdipe et avoir pris une position homosexuelle, il faut bien insister sur le fait que celle-ci ne s'accompagne guère de phantasmes de possession génitale, ou que s'il en est ainsi, ces phantasmes revêtent un caractère sadique nettement accusé. Cette fixation maternelle, définie comme il vient d'être dit, s'accompagne de réactions agressives contre toute personne susceptible de s'immiscer dans le couple mère-fille et d'altérer l'intégrité du pacte unissant la fille et la mère. Tel est le cas des autres enfants par exemple. Ce fait absolument constant n'est pas particulier d'ailleurs à la névrose obsessionnelle. Mais il revêt dans ces cas des caractéristiques spéciales d'absolu et de violence. D'autre part, les relations à l'intérieur du couple mère-fille se développent sur un plan sado-masochique accentué. L'ambivalence à l'égard de la mère est extrême et si l'analyse retrouve aisément une tendance à une soumission aveugle à l'objet maternel, elle met aussi facilement en évidence une révolte continuelle contre ce même objet : révolte suscitée aussi bien par les frustrations affectives que la mère ne peut manquer d'imposer à la fille, que par les limitations instinctuelles qu'en tant qu'éducatrice elle n'a pu lui éviter. Quant au père, il est évidemment l'un des éléments principaux appelés à rompre l'unité de cette liaison et, comme tel, soulève l'agressivité de l'enfant. Mais les rapports du père et de sa fille sont évidemment infiniment plus complexes que ne le comporterait une simple rivalité auprès d'un objet d'amour commun : la mère. Quelle qu'ait été l'importance de la fixation à la mère, la fille fut, un temps au moins, attirée par son père, et l'analyse explicite régulièrement une ébauche d'attrait pour le père. Si faible qu'il ait été, il n'en a pas moins existé. Parfois même, le père semble avoir joué un rôle important dans le déterminisme d'une régression de la libido à des positions infantiles, non encore abandonnées franchement. Il fut pour son enfant un personnage particulièrement terrifiant et sadique comme dans une observation à laquelle nous aurions voulu faire allusion ; mais même dans cette observation, et a fortiori dans les autres, il semble bien que le non-dégagement de la libido de ses investissements prégénitaux soit responsable d'un échec de l'œdipe. L'enfant transférant en bloc sur le père les éléments fondamentaux de son complexe maternel mal liquidé, devait se heurter, dans ce nouveau type de relation, aux mêmes difficultés que dans sa liaison avec son premier objet libidinal. Elle revient à la fixation à la mère en fonction de l'interdiction, de la crainte du grand pénis, et de son effraction biologique, mais surtout, nous semble-t-il, de l'angoisse du retournement sur elle de ses propres pulsions sadiques, orales et anales, primitivement dirigées contre la mère et secondairement transférées sur le père. Quant aux relations que ces malades ont avec leur partenaire quand elles arrivent à se marier, elles sont évidemment toutes particulières et sont établies sur un schème qui rappelle à ce point celui de leur complexe maternel que l'on a pu écrire qu'elles recherchaient une mère dans le mariage et que celui-ci ne correspondait pas autant qu'on pourrait le penser à un choix hétérosexuel. Pourtant, il existe une différence fondamentale entre la relation conjugale et la liaison infantile de la mère à la fille. Alors qu'il existe de « bonnes mères », dans l'histoire de ces malades, il n'existe pas de « bons maris », nous voulons dire par là que quelle que soit la perfection de la castration que leur compagnon accepte, il ne se produit jamais à leur égard, dans la névrose obsessionnelle féminine tout au moins, ce déblocage affectif, qui réalise la projection d'un courant libidinal objectal violent, comme cela se voit dans les relations qu'elles peuvent avoir avec une femme compréhensive. L'acceptation du pénis et l'atteinte de l'orgasme ne changent rien à la situation, car le rapport sexuel, quelle que soit sa modalité, est un véritable acte de castration. Elles développent vis-à-vis de leurs compagnons une attitude sans nul doute analogue à celle qu'elles ont eue envers leur père, mais comme cette attitude est au fond sous-tendue par leur complexe négatif d'activité sadique envers la mère et que leur essai d'œdipe positif a été fort bref et très hésitant, il apparaît qu'elles ont dans leur comportement matrimonial l'ensemble des attitudes vécues à l'égard de la mère hostile et redoutée, c'est-à-dire qu'elles sont partagées entre un sentiment de besoin et de dépendance absolus et une révolte et une haine continuelles. Réagissant à toute frustration venant d'eux avec la même violence anxieuse qu'à toute manifestation de désintérêt venant d'elle, elles éprouvent à tout instant un besoin parallèle de destruction.

Lorsque l'analyse fait revivre à ces malades le désir profondément refoulé de l'attaque sexuelle de la part de l'homme ou du père, l'on s'aperçoit, fait en apparence paradoxal comme nous l'avons signalé dans l'observation de Renée, que le matériel fourni est tout orienté par la crainte d'une réponse agressive de la mère en fonction de l'attaque agressive primaire de la fille contre elle. Nous aurions voulu, ici, donner les documents relatifs à trois autres observations de névrose obsessionnelle féminine, qui nous ont paru tout à fait démonstratifs de l'existence d'une situation complexuelle de ce genre, mais le manque de temps nous empêche de les relater.

On conçoit que, dans ces conditions, la position de l'analyste masculin, en face de telles malades, soit extrêmement difficile. Il est classique de dire que la normalisation des rapports analyste-analysé, et donc la guérison, ne peut se produire que si l'analyste est accepté par l'inconscient de la malade comme une image féminine et maternelle. Il ne nous a pas semblé qu'il en soit ainsi, mais, bien au contraire, qu'il est inévitable que de prime abord l'imago analytique soit assimilée à une imago paternelle, avec tout ce que ceci comporte d'opposition et d'agressivité.

Nous avons assez longuement insisté en relatant l'observation de Renée sur toutes les raisons qui rendent difficile le contact du médecin et de sa malade.

Si nous avons rapporté en détail tous ces documents cliniques c'est que leur rappel nous a semblé indispensable à la compréhension de l'évolution de la situation de transfert et des modifications corrélatives de l'équilibre intrapsychique qu'elle détermine. Dans toutes ces observations, le transfert nous a paru évoluer favorablement en même temps que le désir de possession phallique était rendu conscient. Cette évolution, pour si précisément commençante qu'elle soit, à ce moment, 9 été lentement progressive. L'analyste est devenu peu à peu celui qui sait, qui comprend, qui permet, ce qui ne veut pas dire qu'il lui ait été impossible de jouer, à partir de cette phase du traitement, son rôle fondamental de partenaire sur lequel on peut projeter tout ce que l'on sent. Autrement dit, il se produit ici ce que nous avons constaté chez les obsédés masculins : il s'établit entre le sujet et son médecin une coopération de base, un accord indiscuté, qui s'accommode fort bien de l'extériorisation de toutes les manifestations possibles d'agressivité ou d'amour. L'opposition irréductible qui séparait ces femmes du thérapeute masculin et qui se traduisait par les formes les plus variées de résistance, silences ou rationalisations plus ou moins faciles à détruire et sans cesse renaissantes, tombent alors sans préjudice de la disparition de tous les manquements à la discipline du traitement qui leur sont coutumiers. L'acceptation, par elles, de la racine profonde de leur hostilité anti-masculine, produit donc un double effet clinique : elle rend, d'une part, inutile l'emploi de moyens détournés propres à manifester une opposition dont elles ignorent elles-mêmes le motif fondamental, d'autre part, elle affirme le sentiment d'une compréhension singulière entre les deux participants du dialogue analytique. La mise à jour de ce phantasme de virilisation ne va pas évidemment sans difficulté, comme bien l'on pense ; il est extrêmement culpabilisé et sans doute la déculpabilisation, par la venue à la conscience, mais aussi par l'aveu, joue-t-elle un rôle important dans l'établissement de cette sorte de relation de compréhension exceptionnelle sentie par l'analysée. Le désir de possession phallique et celui concomitant de castration de l'analyste ne se dissimulent pas uniquement derrière les résistances habituelles. Souvent, c'est un rêve de transfert en apparence très positif et très sexualisé, qui contient un tout petit détail révélateur du désir de castration. Les rêves de rapprochement sexuel apparaissant très précocement sont, dans les cas de névrose obsessionnelle, très suspects de n'être que des phantasmes de ce type. En voici un exemple : Dès les premiers mois de son traitement, Nicole fait des rêves multiples de rapports sexuels avec son médecin. Or plusieurs mois après, elle apporte une fois de plus un rêve analogue. « Vous êtes mon fiancé, nous retournons chez moi - Il pleut, vous me mettez votre manteau sur les épaules - Nous arrivons à la maison - Nous entrons - Ma mère est là, elle nous accueille avec un bon sourire. » L'envie du pénis était symbolisée par le désir de recevoir ou de voler ce vêtement - désir qui était également formulé dans ses premiers rêves et qu'elle avait dissimulé. C'est également le cas de Jeanne, qui entre dans la série des phantasmes de virilisation par la prise de conscience de sa fixation à sa mère et de son comportement masculin à l'égard de celle-ci, en même temps que par l'analyse ininterrompue de ses formes de résistance. Elle rêve ; « je me trouve dans votre appartement où je suis venue vivre avec vous - J'y remplace la personne -âgée que j'y vois quelquefois. Au fond, je suis là parce que j'ai un sentiment pour vous. Il ne faut surtout pas que ma mère le sache. Vous avez aux pieds des pantoufles trouées, on voit vos gros orteils. Mon premier soin sera de boucher ces trous. » Le désir de castration est ici indiqué par le dessein de fermer les pantoufles.

Quelle que soit la façon dont se manifeste l'envie du pénis, les rêves des malades nous renseignent largement sur la signification de leur désir de possession phallique. Leurs phantasmes sont sous-tendus par leur désir de possession sadique de leur mère, ou, de façon plus atténuée, par leur besoin d'imposer à celle-ci un renversement de la situation infantile : de dominées, elles veulent devenir dominatrices. Nicole, au lendemain du rêve du manteau, apporte la fantaisie suivante: « je suis un homme, je pénètre dans la chambre d'une jeune fille, qui ressemble à ma mère. Je la tue parce qu'elle me résiste », et elle s'étend longuement sur ce que serait son attitude si elle était un homme. Jeanne rêve plus simplement qu'elle s'affranchit de la tutelle de sa mère. « Je suis dans la salle de bains, avec un médecin (vous) qui me faites une analyse d'urines, ma mère est dans la chambre à côté et dit qu'elle fera cesser l'analyse. je sors furieuse et je lui affirme que, quoi qu'il arrive, je poursuivrai l'analyse autant qu'il le faudra. » Dès lors, dans de multiples fantaisies oniriques, elle compare sa mère à une femme de ménage sale et laide, qu'elle méprise et commande, et dans d'autres fantaisies encore, elle imagine que je suis marié à -une femme vulgaire, triste et mal habillée comme elle, qu'elle n'ose supplanter ou tout au moins elle ne l'avoue pas facilement. En même temps, sur le plan concret, cette jeune fille qui jusque-là ne pouvait quitter sa mère un seul instant, ni de jour ni de nuit, allait seule à Paris et suivait des cours de dessin sans aucune surveillance maternelle. Elle continue depuis plus de deux mois. Évidemment, elle est loin d'être guérie. Il faut ajouter que, comme dans le cas de Renée, le matériel prégénital fait maintenant son apparition aussi bien sur le plan anal qu'oral.

Ainsi, la prise de conscience de l'envie du pénis détermine concurremment, d'une part des modifications du transfert dans un sens favorable au contact affectif de l'analyste et de l'analysée, d'autre part un fléchissement parallèle de la rigueur du surmoi féminin infantile. Nous avons pu justifier cette proposition de façon plus explicite en vous relatant l'observation de Renée, mais dans les cas de Jeanne et de Nicole, auxquels nous n'avons pu que faire allusion dans ces conclusions, cette double conséquence de la prise de conscience de l'envie du pénis ne s'y est pas montrée aussi nette. Telles sont les constatations de la clinique, mais pouvons-nous aller plus loin et nous représenter mieux pourquoi ces deux phénomènes - amélioration du transfert et fléchissement de la sévérité du surmoi féminin infantile - sont liées et aussi comment, à partir d'une identification sur un mode régressif à l'homme considéré comme sadique, il sera possible à ces malades de passer à une identification féminine passive cette fois, l'analyste demeurant le support de ces deux identifications ? La seule observation de Renée peut nous donner une idée de cette évolution. Dans le cas particulier de Renée, une sorte de confusion est matérialisée dans les rêves entre la représentation qu'elle se fait d'un analyste légèrement désexualisé et d'une imago maternelle bienveillante : après que s'est relâchée l'étreinte du surmoi féminin infantile, l'imago analytique qui avait servi de base à une identification masculine sadique et avait pu, de ce fait, permettre l'extériorisation de l'agressivité contre la mère en fonction du sentiment de puissance phallique qu'une telle identification comportait, est ressentie par l'inconscient comme analogue à celle d'une mère de plus en plus désarmée et bienveillante. C'est à ce moment, mais à ce moment seulement, que l'on peut dire que l'inconscient de la malade s'empare de la personnalité de l'analyste comme de celle d'une bonne mère. Les malades témoignent de cette évolution qui s'accompagne d'un sentiment spontané de déplacement du problème intérieur. Elles ne se confient plus à leur mère, mais à leur analyste. Jeanne dira par exemple : « Je dois tout vous dire - autrement, j'ai de l'angoisse et je me le reproche - je ne peux plus vous mentir, alors que je ne dis plus rien à ma mère. » Nicole redoute de manquer une séance, parce qu'elle se sent dans un état de malaise et de faute latents, qui l'oblige à répéter ses manies expiatoires. Et surtout, comme le montre l'observation de Renée, l'image maternelle onirique change de caractère. Mère hostile, adversaire de la malade, soutenue par son analyste, elle devient compréhensive et généreuse jusqu'au moment où cette nouvelle incarnation de la mère se confond avec l'imago analytique. C'est du fait de cette confusion qu'une identification féminine peut se faire sur la personne d'un analyste masculin. Une dissociation des images confondues semble alors possible comme dans le rêve du roi, où la personne du père puissant, mais affectueux, est distincte de celle de la mère dévouée et faible. Une telle opération ne suppose-t-elle pas qu'en retrouvant son agressivité antimasculine et son désir de castration de l'homme, la malade revit en même temps ses pulsions sadiques contre ses deux parents ? Ce serait en ce sens que l'on aurait raison de dire que l'analyste cet appréhendé d'emblée comme une mère ; mais nous croyons plus conforme aux faits de distinguer, dans l'analyse de ces transferts complexes, une phase où la malade se heurte à l'homme avec la totalité des projections agressives que cela comporte, avant de l'utiliser contre la mauvaise mère et de s'identifier secondairement à lui, comme à une génitrice favorable, qui, détruisant tous les tabous de la petite enfance, permettra une évolution libidinale normale. Nous avons été frappé du pouvoir dynamique d'une identification masculine, régressive, chez tous les obsédés : Qu'un obsédé masculin reçoive le phallus sur un mode passif qui satisfasse son érotisme cloacal, ou qu'une fille se l'annexe sur un mode agressif actif, le résultat final de cette opération est toujours une diminution de la rigueur du surmoi féminin infantile, l'imago maternelle souvent phallique perdant son caractère coercitif et dominateur.

Peut-on d'ailleurs limiter le rôle du transfert homosexuel de l'obsédé masculin à la réduction de la seule ambivalence envers le père ? Nous ne le croyons pas, des observations nouvelles nous ayant montré que la pénétration active du pénis était ressentie comme une véritable éviscération, l'imago maternelle y étant vraiment dévorante, en talion d'un désir de destruction globale par manducation ; nous pensons que la réduction des exigences du surmoi maternel infantile ressort, là encore, d'une liquidation du conflit avec une imago analytique ambiguë.

Les faits étudiés dans ce travail sont bien connus, et depuis longtemps. Peut-être pourtant n'était-il pas absolument inutile de revenir sur l'intérêt thérapeutique de la prise de conscience de l'envie du pénis dans le cas particulier de la névrose obsessionnelle féminine et de montrer comment se traduit, concrètement, dans la vie et dans le transfert, mais de façon souvent peu apparente de prime abord, la projection sur l'homme de l'ensemble du complexe maternel et en fin de compte des pulsions sadiques primitivement dirigées contre la mère.

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